Fin septembre, Noor Tagouri, première présentatrice voilée à la télé américaine, posait dans le sulfureux Playboy. Un shooting subversif. The Frenjabist, en livre une analyse à contre-courant.
De l’instrumentalisation du foulard à la production d’icônes. Dans une société polarisée, avec d’un côté, des musulmans souvent dépeints comme des bombes à retardement, de l’autre des musulmans, nostalgiques d’un âge d’or, éclatés par la globalisation, il est dur de se construire une identité sereine.
Le propre d’une communauté est de se rassembler autour de valeurs et d’intérêts communs. Une communauté produit des normes que ses membres sont priés d’accepter.
Les communautés musulmanes vivants à l’Ouest du globe créent, alors, leur identité entre des normes théologiques désuètes ou qui peinent à répondre à leurs besoins, un débat public qui leur est confisqué et une éducation loin de promouvoir la quête de sens.
Muslim-hybrides
Un cocktail qui créé, pêle-mêle, frustration sexuelle, radicalisation, rejet du religieux ou encore conformisme mais aussi une volonté de créer une identité contextualisée.
Au fond, on ne devrait pas avoir à choisir qui l’on doit être mais plutôt accepter ses identités multiples, et encore moins jouer le jeu du clash des civilisations.
C’est un exercice difficile à faire si l’on manque de repères, de mentors c’est pour cela que la tentation de s’identifier à celles et ceux qui nous ressemble est forte. Pis on se projette sur la personne qui prends la parole publiquement et on lui impose une fonction de représentation d’une communauté entière.
Attention le droit à « l’erreur » ne sera pas permis ! Est-ce qu’on se demande au nom de quoi exactement on se permet de projeter nos valeurs, nos idéaux, nos ambitions et nos normes sur les autres ?
Etrangement (ou pas), ce sont les femmes exposées qui seront soit acculées ou sévèrement jugées. Politiser chaque discours ou mouvement d’une femme qui porte un foulard c’est l’instrumentaliser.
Evidemment que s’exposer publiquement s’est laisser la porte ouverte aux critiques, mais c’est dégoûtant de s’approprier le corps, les vêtements, les opinions d’une femme et d’en faire un étendard pour défendre ses propres idées.
On en arrive a annihiler totalement la personnalité de ces icônes afin qu’elles se conforment à nos fantasmes.
Des icônes prisonnières d’un modèle patriarcal
Bouche pulpeuse, faux-cils et eyebrows on fleek, Noor Tagouri n’est pas la première femme musulmane portant un foulard à jouer avec les codes de la beauté pour se mettre en scène.
Récemment la jeune maquilleuse Salima a gagné le concours L’Oréal Professionnel, devenant l’une des maquilleuses officielles de la marque.
Salima El Aliani, égérie L’Oréal
La Britannique Amena a également été choisie par L’Oréal pour être l’une des égéries d’un fond de teint.
On se rappelle de Mariah Idrissi qui avait posé lors d’une campagne d’H&M l’an dernier. Toutes ont le point commun d’être des femmes musulmanes portant un foulard et ayant été plébiscitée par une marque reconnue mondialement, mieux les « premières ».
Elles ont toutes affolé la communauté qui s’est enorgueillie de leur « réussite » parce qu’elles sont associées à ces marques.
Il est intéressant de constater que cette recherche d’icônes peut mener à l’exacerbation de certains paradoxes. En effet, on écarte plus facilement la question politique tant que ces jeunes femmes respectent le contrat tacite de représentation de la communauté.
En effet, doit-on rappeler dans quelles conditions et où H&M produit ses vêtements ? A-t-on oublié que L’Oréal est une marque qui travaille dans les colonies israéliennes ?
Ironie du sort, Playboy propose toujours à des femmes de poser nues pour le magazine en échange d’argent et Noor Tagouri s’est associée à la marque de streetwear Lisn’Up dans une collection de vêtements dont la moitié des fonds sont reversés à une association qui lutte contre le trafic d’êtres humains[1]. Silence radio !
Étonnamment ces icônes se sont construites en affirmant leur personnalité, leur appartenance à l’islam et à la modernité. Elles ne veulent pas choisir et le font savoir.
Certaines en arrivent même à mettre en scène leurs sorties publiques afin de convenir à leur audience au point que leur personnalité se confond avec leur persona.
Surtout, leur apparition se fait toujours en s’appropriant les codes créés et imposés par le patriarcat à savoir l’objectification des femmes, ici à des fins capitalistes.
Il ne s’agit pas de célébrer la beauté sous toutes ses formes dès lors que ces femmes sont utilisées pour répondre à une logique capitaliste, c’est-à-dire, un quota ethnico-religieux qui permettra de toucher un marché naissant et en plein boom : le portefeuille musulman !
Un rapport de Thomson Reuters estime qu’en 2019 ce marché atteindra 484 milliards de dollars US. Difficile de croire à la démarche inclusive de ces marques qui voudrait représenter la société dans son entièreté.
Au-delà des icônes, les rôle-modèles !
Parfois je me demande jusqu’à quand ou à quel point nous sommes capable de nous asseoir sur nos valeurs de justice, d’équité et de respect « juste » pour nous conformer à un idéal créé par des Hommes Blancs pour des Hommes Blancs ?!
Il m’est insupportable de penser que l’on puisse réduire un être à un choix fusse-t-il un vêtement, mais surtout que les femmes musulmanes, portant un foulard ou non, ne seraient pas capables d’être une plus-value significative pour la société.
J’ai l’immense chance d’être entourée de femmes qui me prouvent le contraire chaque jour, des modèles.
Si l’on ouvre grand les yeux et que l’on dépasse les polémiques stériles on se rendra compte que des femmes musulmanes qui font un travail en cohérence avec leurs valeurs tout en étant un vecteur de changement il y en a pas mal.
Elles sortent du cadre de simples icônes car elles décident seules de ce qu’elles veulent être, partager, montrer et apporter à la communauté ainsi qu’à la société dans son ensemble.
Cet été, l’escrimeuse américaine Ibtihaj Muhammad était sous les feux des projecteurs. « Première » athlète en foulard à représenter les Etats-Unis en compétition internationale, la jeune femme a bouleversé quelques lignes…
Ibtihaj Muhammad, escrimeuse américaine
On oubliera de dire qu’elle était excellente au point d’être la première qualifiée de son équipe. J’ai eu le privilège de la rencontrer, il y a cinq ans lorsque je vivais à New York. Elle était déjà championne du monde et d’Amérique.
Ibtihaj, humble, généreuse et drôle, avait alors choisi de contribuer positivement à sa communauté. Elle avait été désignée comme ambassadrice sportive par la secrétaire d’Etat Hillary Clinton.
Son rôle consistait à sensibiliser les jeunes écoliers et écolières à l’importance d’exercer une activité sportive pour leur santé physique et morale.
La liste des femmes extraordinaires est encore longue, Inès Safi, Asma Lamrabet, ou encore Nadia Hussain et Sherin Ebadi.
Inès Safi, chercheuse en physique quantique
Toutes des rôle-modèles qui ont su dépasser tous les codes qu’on essaie de leur imposer, proposant une lecture alternative sur les musulmanes, en particulier.
Elles peuvent se targuer d’apporter une contribution tangible à l’ensemble de la société, que ce soit une médaille olympique, un prix Nobel ou des recherches scientifiques…même un gâteau pour Elisabeth II !
Aujourd’hui, il me semble crucial que les femmes portant un foulard se réapproprient l’espace et les discours publics en écrivant elles-mêmes l’histoire qui les concerne, avec leurs conditions et dans leurs propres termes.
Leurs paroles tout comme leur corps sont encore trop souvent confisqués pour assouvir un agenda politique ou idéologique. Plus encore, elles doivent dépasser la logique communautaire pour entrer dans l’ère de la sororité.
Cet espace de bienveillance où l’on décide de s’encourager entre femmes même lorsque nos opinions divergent. Les hommes sont les bienvenus mais priés de laisser les réflexes sexistes au placard.
Notes de l’auteure
*Communauté musulmane : bien qu’elle soit diverse j’ai, ici, choisi de faire référence à « une » communauté dans l’unique but de faciliter la lecture.
[1] Monnayer ses photos de charme uniquement pour le plaisir devient un argument bien faible à l’ère du 2.0. Malheureusement, cela reste surtout le fait de femmes qui vivent dans une précarité financière, psychologique ou les deux. On notera que seules les femmes sont invitées à se déshabiller.
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